«La déclaration de Ban Ki-moon  est inappropriée»

Jason Isaacson était l’invité de Medradio, le 16 mars, pour une

interview où il a décortiqué le climat politique, tendu, qui

marque le quotidien des Américains actuellement, le problème

des migrants et bien d’autres sujets. Extraits.

Entretien réalisé par Jamila Arif

L’Observateur du Maroc et d’Afrique: 


Les Etats-Unis vibrent actuellement 


au rythme des élections, quel constat 


faites-vous du paysage politique actuel 


et comment décririez-vous l’ambiance 


des élections présidentielles ?


Jason Isaacson : Je vais essayer, non sans 


embarras, de décrire le paysage politique 


actuel aux Etats-Unis. L’image présentée 


à l’électorat américain est d’un très haut 


niveau de partisannerie, un haut degré 


de suspicion du parti au pouvoir, un degré 


élevé d’insatisfaction par rapport à la 


situation économique, même si comparée 


au reste du monde, l’économie américaine 


est assez robuste, assez forte et dynamique 


mais c’est la redistribution qui pose pro-

blème.


Et puis en ouvrant bien les yeux sur 


le monde, il y a une forte instabilité dans 


de nombreuses régions, de sorte que les 


électeurs américains le sentent. Ils sont de 


surcroît provoqués par des politiciens en 


colère qui attisent davantage leur mécon-

tentement. Du coup, les gens réagissent 


sous la colère et les politiciens en pro-

fitent. Cette exploitation de l’insatisfaction 


constitue d’ailleurs un phénomène qui se 


répète tout au long de l’histoire. Au cours 


de ces derniers mois, des insultes ont été

proférées et le niveau des débats a été au

plus bas alors que nous sommes en passe

de choisir le leader du monde libre. Vous

voyez maintenant pourquoi j’ai commencé

par parler de mon embarras au début de

cet entretien. Maintenant, alors que nous

nous rapprochons enfin de l’échéance clas-

sique où nous aurons enfin un candidat

pour le parti démocrate et un autre pour

le parti républicain, le ton va commencer à

devenir plus raisonnable et plus sérieux, ce

qui nous changera de l’indécence actuelle.

Je le redis, nous passons franchement en

ce moment par un moment politique très

embarrassant pour les Etats-Unis.

Les candidats évoquent des sujets

aussi polémiques que l’immigration

et les minorités. Quelle est la place de

ces thèmes récurrents dans l’agenda

politique aux Etats-Unis ?

Il est certain que l’Amérique est une

société très différente des autres. Nous

sommes une nation d’immigrants. Et l’in-

tégration a toujours fait partie de l’histoire

afro-américaine et de la culture américaine.

Cela n’a rien à voir avec les problèmes que

nous constatons dans d’autres parties du

monde où l’intégration des immigrants,

spécialement ceux qui fuient vers l’Eu-

rope depuis l’année dernière, provoque un

véritable bouleversement politique. Mais

l’instrumentalisation politique par temps

électoral fait que cette question déchaine

ici aussi les passions. Il y a bien sûr des

moyens de résoudre le problème des onze

millions de migrants ayant des problèmes

de papiers. Malheureusement, les déchi-

rements partisans rendent toute avancée

impossible surtout dans le contexte actuel.

Mais une fois le nouveau Président élu et

le congrès mis en place, les politiques

retrouveront leurs esprits pour examiner

sereinement la situation. Vous en convien-

drez, ce n’est pas une situation normale que

d’avoir 11 millions de personnes vivant aux

USA, qui y travaillent et nombreux parmi

eux paient leurs impôts, mais sans qu’ils

aient un véritable statut leur permettant

de vivre normalement dans le pays.

Ce n’est pas non plus une situation

normale de vouloir construire un mur

pour barrer l’accès aux Mexicains, tout

en faisant payer ce mur par le Mexique…

J’ai du mal à imaginer que le Mexique

devrait payer pour un mur que les Etats-

Unis construisent. Toutefois, ce n’est pas

non plus une idée saugrenue que d’avoir

des contrôles aux frontières entre les deux

pays. Pour ce faire, a-t-on besoin d’un

mur ? Un mur est-il pratique? Quelqu’un

doit-il payer pour un mur autre que les

États-Unis? Ce sont autant de questions

hautement politiques. Il y a certes des

arguments à la faveur du renforcement

de l’appareil sécuritaire aux frontières des

États-Unis pour protéger la sécurité natio-

nale et l’intérêt du pays. Mais un joli mur,

comme il a été décrit, que le gouvernement

mexicain devrait par magie payer, relève de

la fantaisite. Cela fait partie d’un processus

politique dans lequel on a parfois surtout

aux

USA, qui y travaillent et nombreux parmi

eux paient leurs impôts, mais sans qu’ils

aient un véritable statut leur permettant

en faisant payer ce mur par le Mexique…

J’ai du mal à imaginer que le Mexique

devrait payer pour un mur que les Etats-

Unis construisent. Toutefois, ce n’est pas

tendance à vouloir à tout prix s’accaparer

le maximum d’attention.

En parlant de mur, il y en a un, plutôt

psychologique, qui empêche la

résolution définitive du problème du

Sahara marocain. Mais plutôt que

d’enlever ce mur, Ban Ki-Moon vient

de le fortifier. Que pensez-vous de

ses derniers dérapages verbaux ayant

provoqué la colère des Marocains ?

C’est regrettable ! Le Secré-

taire général de l’ONU est, en

principe, dans une position où il doit

veiller très attentivement à garder sa

neutralité. C’est ce qui lui permet la super-

vision d’une organisation internationale

dont la vocation première est de résoudre

les conflits dans le monde. Il ne peut en

aucun cas prendre position, de manière

agressive, en faveur d’aucune partie. Sa

déclaration est franchement inappropriée.

Je regrette donc que cette déclaration

ait été faite par le Secrétaire général sur

la situation au Sahara. Il est nécessaire

de la retirer. Il est certain que les décla-

rations faites par M. Ban Ki-Moon sont

insultantes pour le Maroc. Cela traduit un

grande incompréhension de la situation
du Sahara, de sa place importante dans
l’histoire du Maroc, du développement
de cette région au profit de la popula-tion locale, de l’unité du Maroc comme
un allié important des Etats-Unis, de son
importance dans la communauté inter-nationale, de son rang de contributeur
pour la paix et la stabilité dans sa région.
Il est clair qu’il y a un malentendu qui
doit être levé. J’ose espérer que le Secré-
taire général rectifie le tir dans les mois
à venir ✱